Pour enrayer le mal de ce monde

Foulard au vent, cheveux miroitants dans les derniers rayons de soleil de la journée, Yang Shishigami, marteau de la justice, se tenait bien droit en milieu de la plaine, le regard rivé vers l'horizon. Il semblait attendre quelqu'un, ou pas, son regard flamboyant parfaitement indescriptible. Voilà bientôt quarante minutes qu'il se tenait là, mains sur les hanches, à regarder inlassablement l'astre solaire céder son tour de garde aux corps célestes maîtres de l'obscurité.

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Derrière lui, des pas se firent entendre. Ces pas n'étaient point agressifs ni lourds, ils étaient calmes et légers. Un grand homme vêtu de noir et de blanc, avec des cheveux noir ébène, approchait lentement. Okido Kazuma adressa à parole au juge des environs alors qu'il prenait lentement place près de lui, regardant en direction de la lune qui commençait à monter dans le ciel.

- ''N'êtes-vous pas trop occupé pour prendre le temps de regarder le soleil se coucher et la lune se lever, Monsieur Shishigami?''

Kazuma avait vu cet homme de loin et avait décidé de l'approcher pour commencer une conversation avec lui.

Shishigami n'avait pas bougé d'un poil, on aurait cru qu'il était pétrifié sur place. Mais quelques secondes après la fin de la question du Ryu Shu, il répondit à ce dernier :

-J'observe la beauté de ce monde Kazuma. Je me la remémore, m'en imprègne.

Il se retourna vers son interlocuteur en exagérant la rotation de son bassin, ayant pour effet de faire battre au vent son foulard.

-Tout homme se bat pour quelque chose. Ce monde est beau Kazuma, c'est l'homme qui l'a rendu laid par le mensonge, la fausse justice et l'ananas dans le porc aigre-douce.

À la seule énonciation du plat maudit, Yang fut pris d'un frisson.

-Quel manque de goût... Bref, voilà pourquoi je me bat, pour enrayer tout ce qui est mal et laid de ce monde et que le bien et la beauté triomphent. Je m'accorde une pause avant de retourner afin de frapper plus fort dans le futur, renforcé par l'espoir que me promulgue ce merveilleux paysage.

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Okido Kazuma, aux paroles plus qu'épiques du juge, tourna à son tour son regard vers le ciel. Alors que le regard de Yang Shishigami avait été teinté d'une belle lueur de rêverie à la vue de ces cieux en pleine évolution, celui de Kazuma laissait paraître une sorte de scintillement différent, celui d'un être bien plus réfléchi que rêveur. Après un moment de silence et après avoir dévoilé ses yeux de sous sa mèche noir ébène à l'aide de sa main gauche, Kazuma esquissa un sourire.

- ''Oui, en effet, c'est tout un paysage.''

Kazuma se retourna alors lentement vers son interlocuteur, et lui adressa un sourire qui semblait franc (puisque Kazuma était un maître dans l'art de feindre ce genre de sourire).

- ''Je serais intéressé d'en apprendre plus sur votre vision du bien et du juste, Monsieur le Juge Shishigami, cela vous dirait de la partager avec moi? Je vous ferai part de ma vision aussi, bien entendu. Si je suis pour peut-être prendre votre place un jour, il faut bien que ma façon de voir les choses vous plaise.''

À nouveau, un petit sourire, un peu plus discret celui-ci, mais un peu plus complice. Kazuma avait toujours sa canne dragon.

Yang hocha la tête d'un air un peu désolé, mais répondit à son interlocuteur d'un ton tout aussi solennel.

-Votre façon de voir les choses importe peu à la loi mon cher Kazuma. Le rôle de juge est d'appliquer la justice et non votre justice. C'est là toute la complexité du métier si vous voulez mon avis. Étant moi-même d'un naturel bouillant, il s'agit d'un défi de ne pas m'emporter. Voilà pourquoi je suis à ce poste d'ailleurs : mon maître croit que je pourrai apprendre à mieux me contrôler en exerçant ce genre de fonctions.

Il poussa un long soupir puis poursuivit son discours, sa voix vibrant désormais d'une passion sans nulle autre pareille.

-Mais bon, puisque vous avez posé la question, je vais m'efforcer d'y répondre. Pour moi, la justice représente un choix, le choix de faire le bien ou le mal. Pour plusieurs personnes, ces deux concepts sont trop abstraits pour être définis. Or, je me suis donné pour mission de les définir, et je crois y être arrivé. Comme je l'ai dit plus tôt, il s'agit avant tout d'un choix, du choix de dire une parole aimable ou offensante, le choix de risquer sa vie pour les autres ou de fermer les yeux devant l'adversité, le choix de faire plaisir aux autres et non pas uniquement penser à son bonheur personnel. Dit comme ça, tout ce que je viens de dire semble idéaliste et bien loin du vrai monde, mais en réalité, tout cela ne s'écarte très peu du monde comme nous la connaissons. La vraie bonté, on peut aller la chercher dans les choses simples de la vie, nul besoin d'être un héros pour l'atteindre. Voilà ce que j'en pense.

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Kazuma avait écouté l'Izuméen parler sans le regarder, puis avec tourné les yeux vers lui vers le milieu de son discours, dans le but d'établir un contacte visuel. Dans ses cours d'éthique, il avait compris l'essentiel d'un contacte des yeux pour former des liens sociaux avec des gens, et il comptait en établir un bon avec le juge.

- ''Je considère que j'ai cet atout d'être une personne bien sage et calme, alors je crois que je n'aurai pas de misère à savoir peser la balance des actes comme vous l'avez fait lors du dernier procès, sans m'emporter.''

Puis, d'un ton un peu plus détaché et qui semblait un peu plus divertissant pour Kazuma, ce dernier répondit à la vision du bien de Yang Shishigami.

- ''Votre vision du bien et du mal implique beaucoup la notion du choix. Ne croyez-vous pas qu'il est possible de faire le bien ou le mal par accident? Dans ces cas-ci, n'y aurait-il aucun fautif? Je vois bien là une nette différence entre l'acte bon ou mauvais et ce que la justice a à faire là-dedans. Est-ce qu'un meurtre dit accidentel devrait demeurer impuni? Pourtant, l'acte étant involontaire, n'était aucunement un choix égoïste ou méchant et ne serait donc pas classable dans le cadre de faire le mal, mais la personne doit tout de même être punie, n'est-ce pas? J'allais avancer qu'il était important pour un juge de cerner les choix considérés comme mals et de les punir, mais le travail est plus complexe que ça, il faut juger les actes qui sont classés comme interdits par la Guilde et ajuster la peine à savoir si l'acte était volontaire ou non. C'est comme ça que je le vois, je me trompe?''

Kazuma laissa à Monsieur Shishigami le temps de bien comprendre son point. Kazuma ne semblait pas trop personnellement impliqué par le sujet de discussion, il avait simplement employé le ton d'une personne qui philosophie sur le sujet.

Yang soutint le regard de Kazuma sans ciller, puis répondit avec un léger sourire.

-Vous semblez ne pas avoir compris la base de mon point. MA justice et LA justice sont deux choses complètement différentes. Mon rôle de juge est de faire appliquer la justice, mon rôle d'être humain est d'appliquer ma justice. Pour ce qui est du choix, ne vous méprenez pas : il y a toujours un choix. Même ne pas faire de choix est un choix en soi-même. Il est possible faire un mauvais choix en prenant en compte des informations erronées, mais dans ce cas là, on ne peut se blâmer que soi-même pour ne pas avoir obtenues les données nécessaires pour faire un choix éclairé. Je n'ai personnellement que peu de pitié pour les idiots de ce genre.

Il tassa une mèche cheveux qui lui obscurcissait la vue, puis plaça ses mains sur ses hanches avant de continuer son discours.

-Un meurtre est un meurtre. Accidentel ou non, l'intention n'est que secondaire. Il s'agit d'une effraction au code pénal d'Armenik qui doit être punie. La peine pourrait éventuellement être allégée, mais peine il y aura. Le travail de juge est bête et stupide Kazuma et contrairement à ce que vous semblez croire, il est très simple : vous avez une liste d'effractions et si on vous démontre qu'effraction a été commise, vous sévissez. Il ne s'agit pas d'un jeu pour les petits malins qui aiment philosopher, description qui semblent vous seoir à ravir. Je ne doute pas que vous pourriez faire de l'excellent travail, seulement vous vous devrez de laisser derrière qui vous êtes vraiment lorsque vous serez en fonction, tout comme c'est le cas pour moi.

Le juge avait dit cela d'un ton officiel, mais nullement offensant. Au contraire, il semblait avoir un air quelque peu mélancolique.

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Kazuma voulut être certain de ne pas avoir été mal compris.

- ''C'est ce que je disais, qu'un meurtre doit être puni, qu'il soit accidentel ou non. Dans ce cas, s'il est si bête que cela, j'imagine que je n'aurai aucun problème à l'accomplir le jour où on me fournira ladîte liste, si bien sûr vous jugez que je pourrais y trouver ma place. Est-ce que vous avez d'autres procès de planifiés, que je puisse de nouveau y participer? Il est nécessaire que je gagne de l'expérience dans le domaine... n'est-ce pas?''

Puis, après une bonne respiration de l'air frais qui les entouraient, Kazuma rajouta quelque chose.

- ''Je comprends votre point sur les choix.''

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